Nouvel âge, vieille planète     David Homel Le Devoir

En 1999, j’ai tenté un exercice que j’ai regretté depuis : écrire un roman sur les mouvements de libération individuelle qui secouent nos sociétés depuis quelque temps. Le résultat : L’évangile selon Sabbitha, un livre sur la venue de la première femme-messie. J’ai beaucoup ri pendant la rédaction du livre, mais à sa sortie, j’ai compris que j’étais seul à avoir pigé l’énorme farce historico-culturelle derrière le roman.
Un monsieur qui s’appelle Brian Brett a osé le même coup dernièrement. Heureusement pour lui, il a adopté une approche plus comique, et je pense que son voyage au bout de la libération va trouver plus de preneurs. Son roman s’intitule Coyote (Thistledown Press, 2003). Coyote, c’est le nom du personnage principal. Moitié homme, moitié mythe, Coyote est un éco-terroriste à la retraite qui vit dans une cabane construite dans un arbre, et de qui émane une présence bouddhique. Coyote, c’est aussi un nom de guerrier, car le personnage est déjà parti en guerre contre les compagnies qui polluent l’environnement.
L’éco-terrorisme est une invention de la côte du Pacifique, de la Colombie-Britannique, plus précisément, et c’est là où se déroule l’action du roman. Coyote fait sauter des ponts qui mènent à des sites de coupes à blanc. Coyote incendie des centres commerciaux. Coyote libère les animaux des parcs zoologiques – quoique plusieurs refusent leur libération et restent dans leurs cages. Coyote sabote des usines, et dans celle de ChemCity, il a trouvé la mort, selon les rumeurs.
L’écoterrorisme repose sur une série de paradoxes qu’explore le roman. Faut-il tuer des gens pour protéger l’environnement ? Faut-il les priver d’emplois en faisant fermer leurs usines ? Dans ce livre, on trouve aussi le débat sur la place des humains dans l’écologie : faisons-nous partie ou non du monde naturel ? Certains activistes de la Colombie-Britannique allaient jusqu’à planter d’énormes clous dans les arbres destinés à être abattus. Cette pratique mettait en danger la vie des ouvriers forestiers, mais protégeait celle des arbres. Laquelle vaut le plus cher selon l’opinion de ces activistes ? C’est un débat qu’on ignore en général au Québec,  mais Brian Brett fait de telles préoccupations le centre de son livre.
L’auteur est aussi conscient des paradoxes qui sous-tendent les mouvements de libération individuelle. Dans son livre, la libération naît du traumatisme. Parmi les personnages, le roman met en scène Janwar Singh, un agent de la GRC affecté aux homicides. Étant simultanément sur la piste d’une femme disparue et sur celle de Coyote, Janwar fait la rencontre de Wren, femme menue qui tient un centre de santé holistique. Tout ce qui existe de « nouvel âge » se trouve dans son établissement de mieux-être. Mais l’équilibre, Wren l’a atteint seulement après une âpre lutte contre le cancer. La libération de ses poisons intérieurs, ça se paie très cher.
Brett évoque avec poésie le monde naturel que nous sommes en train de perdre. Il sait qu’il est déjà perdu, à toutes fins pratiques, ce qui fait de Coyote un livre mélancolique, malgré les personnages farfelus et l’exubérance du propos : nous n’avons rien pour remplacer le monde que chaque jour nous détruisons.

L’auteur est chroniqueur littéraire à La Presse et a publié plusieurs romans